Le président de la Banque mondiale, David Malpass est ce mercredi l'invité de RFI. Il explique comment l'institution qu'il dirige entend aider les pays pauvres, et notamment certains pays africains, à surmonter la pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques.
RFI : David Malpass, nous vivons collectivement une période exceptionnelle. Qu’est-ce que cette pandémie vous a appris à titre personnel ? Et est-ce que cette expérience a remis en cause des choses fondamentales dans votre vision de l’économie ?
David Malpass : Oui, tout d’abord c’est la mise en sommeil des économies la plus profonde et la plus douloureuse que j’ai vu depuis des décennies, depuis tous le temps en fait. Et cela affecte d’abord les plus pauvres. Les pays pauvres et leurs populations sont extrêmement dépendants des grandes économies. Or ces économies se sont arrêtées, se sont confinées, et commencent à peine à redémarrer. Elles cherchent d’ailleurs encore comment redémarrer en toute sécurité. Et c’est une étape décisive pour les pays en développement. Ils ont besoin de transferts d’argent, ils ont besoin de tourisme, ils ont besoin de commandes passées par les économies les plus avancées. Parlons de votre action à la tête de la Banque mondiale.
Vous aidez une centaine de pays dans le monde à lutter contre le Covid-19. Quelle forme prend cette aide ? S’agit-il de dons ou de crédits remboursables ?
Il s’agit en grande partie de subventions et de prêts à des taux d’intérêts très bas qui permettent une aide immédiate. L’argent sert à acheter en urgence des équipements de protection pour les personnes, ainsi que d’autres équipements pour celles et ceux qui sont en première ligne sur le front de la lutte contre la maladie. Et ce qui est notable pour cette centaine de pays qui reçoivent cette aide, c’est le bénéfice qu’elle apporte. Nous parlons de pays parmi les plus pauvres du monde, qui trouvent ainsi des moyens pour combattre la pandémie et les autres crises sanitaires qui les frappent. Donc cette aide est très bien accueillie. De plus, nous avons mis en place des procédures d’urgences.
Dès la mi-mars, nous avions un programme d’assistance prêt pour cette centaine de pays. Et combien d’argent leur avez-vous fourni au total ?
Jusqu’à présent, le montant s’élève à 5,5 milliards de dollars. Et le programme que nous avons mis sur pied va s’accroître. Les donateurs bilatéraux, je veux dire les économies avancées, peuvent ajouter des fonds à ce programme. Toujours dans le but de fournir plus d’équipements et d’assistance aux pays qui en ont besoin. À la mi-avril, la Banque mondiale disait rechercher encore 44 milliards de dollars pour aider les pays africains dans la lutte contre la pandémie.
Les avez-vous trouvés ?
D’ici les quinze prochains mois, c’est-à-dire plus précisément d’ici juin 2021, nous devrions être en mesure de fournir 156 milliards de dollars d’aide au total. Que ce soient des subventions ou des crédits à faible taux d’intérêts. Et la plus grande partie ira aux pays d’Afrique subsaharienne. Mais même avec tout cela, ce ne sera pas suffisant. Alors ce que nous cherchons à faire aussi, avec Kristalina Georgieva, la cheffe du FMI, c’est d’élargir le moratoire sur la dette. En mars, nous avions appelé à un moratoire sur le paiement des dettes des pays pauvres, ce qui devrait leur permettre d’économiser pas mal d’argent et de le consacrer aux dépenses de santé. Et nous espérons que les créanciers privés, à savoir les banques et les gestionnaires d’actifs, participeront à ce moratoire. Mais il y a des réticences de leur part à renoncer aux remboursements de la part des pays les plus pauvres. Sur ce point,
David Malpass, qu’est-il possible de faire pour pousser ces créanciers privés à geler les remboursements de dette ?
L’une des choses qu’ils doivent faire, c’est de se rencontrer et de décider collectivement de la meilleure marche à suivre étant donné la gravité de la crise. Il faut que ces créanciers privés prennent en compte de façon claire la gravité de cette crise. Et donc j’espère qu’ensemble, ils pourront apporter une réponse sensible et encourageante. C’est le premier point. L’autre chose, c’est que les pays doivent étudier quelles sont pour eux les meilleures options dans cette crise. Je suis optimiste sur le fait que les créanciers privés comprendront qu’il est dans l’intérêt à long terme de l’ensemble du monde de prendre en compte ce que dit le G20. Vous savez, dans un communiqué, le G20 a appelé les créanciers privés à agir comme les créanciers publics, à faire le même traitement de cette question de la dette. C’est en effet fondamental,
David Malpass, car en Afrique, les gens ne comprennent pas. Ils voient les pays européens, la Chine et les États-Unis annoncer des plans à coups de milliers de milliards de dollars, et d’un autre côté on leur dit que l’annulation de la dette africaine est impossible. Qu’est-ce que vous pouvez dire à nos auditeurs africains ?
Les populations et leurs dirigeants doivent examiner ensemble leur situation et choisir leurs priorités en matière d’utilisation des ressources disponibles. Ce que fait la Banque mondiale, c’est de fournir un large éventail de ressources. Mais il faut faire un certain nombre de distinctions. Il y a eu des appels en direction des bailleurs de fonds multilatéraux pour un allègement de leur dette, en clair pour que les pays puissent ne pas rembourser par exemple ce qu’ils doivent à la Banque mondiale. Le problème, c’est qu’à la différence des autres créditeurs, la Banque mondiale fait appel au marché obligataire pour se fournir en fonds et en crédits. Donc ne pas rembourser serait de la part de ces pays envoyer un signal très négatif. Je pense que la meilleure solution pour eux est encore de s’adresser à leurs partenaires bilatéraux traditionnels, et trouver avec eux une solution pour obtenir davantage de moyens. Plus fondamentalement, beaucoup de choses dépendront de la reprise des économies des pays avancés. Et pour les pays pauvres, beaucoup dépendra du secteur privé et du développement durable de ce secteur privé, qui fera rebondir les économies.
En parlant du secteur privé, David Malpass, nous savons que ce secteur est en train de souffrir et nous savons aussi qu’il largement informel. Comment aider concrètement le secteur informel en Afrique ?
C’est un sujet fondamental. À travers la Société financière internationale, l’IFC, nous fournissons des fonds de roulement aux entreprises. Ce sont des capitaux sous forme de prêts à court terme, pour payer les stocks, régler divers problèmes comptables, et tout ce qui permet de continuer à faire tourner les affaires. C’est un aspect très important. Pour ce qui concerne les micro-entreprises, ce que nous voulons faire, c’est poursuivre les flux financiers dont elles ont besoin. Parce que ces fonds permettent aux gens de continuer. Vous savez les plus grands atouts des pays pauvres, ce sont les gens eux-mêmes. Ils doivent pouvoir survivre à cette crise. Continuer à pouvoir se nourrir et à s’éduquer. Ils doivent être en mesure de reconstruire leur vie et de dépasser cette récession. Et nous travaillons à cela à travers nos programmes.
RFI